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Alexandre Shields
14 décembre 2011
Québec
L'investissement semble trop risqué pour les minières, conclut l'étude de Genivar
Photo : B. Lebe |
L'implantation d'un lien ferroviaire de 600 kilomètres entre
Schefferville et Kuujjuaq, un projet qui bénéficierait directement aux
minières qui comptent profiter du Plan Nord, coûterait au moins 2,5
milliards de dollars. Le gouvernement pourrait d'ailleurs être forcé
d'acquitter une bonne partie de la facture, selon ce qui ressort d'une
étude de préfaisabilité réalisée par la firme d'ingénierie Genivar pour
le ministère des Transports. Le même document souligne que des projets
hydroélectriques déjà envisagés par Hydro-Québec dans cette région
nordique seraient difficilement rentables.
L'ajout d'un long tronçon de chemin de fer jusqu'à la baie d'Ungava permettrait en fait de relier le Nord québécois au port de Sept-Îles. Les centaines de millions de tonnes de minerais qui seront exploitées à moyen terme dans le secteur de la fosse du Labrador pourraient par la même occasion être transportées, transférées à bord de bateaux et ensuite exportées. La construction d'une voie ferrée garantirait en effet l'accès à un territoire dont le potentiel minéral est immense — on y retrouve près de 18 000 titres miniers — et qui est largement inaccessible par la voie terrestre.
Ce nouveau lien, qui traverserait deux secteurs pourtant «réservés aux
fins de parcs», pose toutefois plusieurs défis. Une partie du tracé se
retrouverait dans le pergélisol et il faudrait franchir plusieurs cours
d'eau. Dans une des options envisagées, les rails passeraient par le
Labrador, ce qui ferait en sorte que le projet serait de compétence
fédérale. De plus, la hausse prévue de la fréquentation des
infrastructures ferroviaires entre Schefferville et Sept-Îles
nécessiterait de nouveaux investissements. «En effet, la capacité
actuelle ne serait pas suffisante pour accueillir l'ensemble des projets
prévus au nord de Schefferville», précise l'étude. Même chose pour le
port de Sept-Îles.
Un projet de 6 milliards?
La firme d'ingénierie mandatée par Québec estime que le seul projet de
nouveau tronçon coûterait au moins 2,5 milliards de dollars. Une facture
à laquelle il faudrait ajouter les coûts d'entretien annuels, évalués à
18 millions. Genivar a aussi calculé que si ce projet était financé sur
une période de 30 ans, les remboursements en capitaux et en intérêts
atteindraient 5,8 milliards de dollars. Sans compter les travaux sur le
tronçon de 600 kilomètres situé plus au sud.
Reste à voir qui financerait un tel projet. Les auteurs de l'étude
expliquent que le secteur privé refuserait probablement de prendre un
tel «risque» financier, en raison du coût du projet, mais aussi du
caractère cyclique de l'industrie minière. «[...] Étant donné que le
partenaire privé visera la rentabilité financière du projet, il se
pourrait que la voie ferrée ne se rende pas à Kuujjuaq, puisque les
sites miniers pour lesquels une mise en activité est prévue au cours des
prochaines années sont situés plus au sud», évalue-t-on également dans
ce document de 132 pages disponible sur le site du Devoir. Sans oublier
que les mines projetées ont, au mieux, une durée de vie de 35 ans.
Une division de la facture entre le secteur public et le secteur privé
serait plus avisée, selon l'étude. Québec engagerait alors des fonds
publics, mais pourrait aussi assurer l'accès à la voie ferrée et la
poursuivre jusqu'à «un port en eau profonde sur les rives de la baie
d'Ungava». Mais encore une fois, le secteur privé risque de ne pas être
au rendez-vous. Par exemple, «le partenaire privé pourrait juger que les
risques inhérents à la fréquentation du chemin de fer sont trop
importants pour garantir la rentabilité du projet à long terme».
Et si l'État prenait tous les coûts à sa charge, des minières qui ont
payé leurs infrastructures ferroviaires pourraient crier à la
«concurrence déloyale». «Ces compagnies minières pourraient également
demander des subventions pour la construction de nouvelles
infrastructures de transport ou pour la réfection des infrastructures
actuelles.»
Bref, la question du financement apparaît pour le moins complexe. De
toute façon, a-t-on répondu au bureau du ministre délégué aux
Transports, une autre étude doit être menée dans le cadre du Plan Nord
au sujet d'un «lien terrestre» permettant de désenclaver Kuujjuaq en la
reliant au sud du Québec. On étudiera la construction d'une route ou
d'une voie ferrée.
Chose certaine, ce projet s'inscrirait dans l'ambitieux projet «de
plusieurs générations» lancé par les libéraux de Jean Charest. Et les
minières, bien conscientes des dizaines de milliards de dollars qui
dorment sous terre, ont déjà investi cette zone. Genivar a calculé que
60 entreprises sont déjà actives dans la zone ciblée dans l'étude. En
tout, 8500 kilomètres carrés étaient sous permis en 2010. On y cherche
du fer, de l'or, du zinc, du nickel et de l'argent.
Hydroélectricité trop chère
L'étude de Genivar revient sur trois importants projets hydroélectriques
qui étaient inscrits dans le plan stratégique 2004-2008 d'Hydro-Québec,
soit ceux des rivières Caniapiscau, George et à la Baleine. Tous ces
projets sont jugés trop coûteux pour être mis de l'avant, en plus d'être
difficilement envisageables d'un point de vue environnemental.
«L'éloignement d'hypothétiques sites dans la zone d'étude par rapport
aux lignes de transport et la taille des projets de développement
envisagés ne semblent donc pas permettre d'obtenir un prix de vente de
l'électricité compétitif», souligne le rapport.
Hydro-Québec doit investir pas moins de 47 milliards de dollars d'ici 25
ans dans des projets énergétiques dans le cadre du Plan Nord. Mais il
est «trop tôt» pour dire si les trois projets inscrits dans le plan
stratégique 2004-2008 en feront partie, selon ce qu'a répondu la société
d'État.
En entrevue au Devoir, l'ancien premier ministre Jacques Parizeau
s'inquiétait récemment de la volonté d'Hydro-Québec de se déployer
toujours plus au nord. «Le message, c'est on continue vers le nord. Sans
détails, sans précisions, Hydro-Québec monte vers le nord, et à des
coûts qu'on ne connaît pas. Ils s'arrêteront quand? On ne sait pas.
C'est énorme. Et les filières autres d'hydraulique demeurent tout à fait
secondaires.» D'autres économistes estiment carrément que ces
investissements présentent une menace pour les finances publiques.
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