Alexandre Shields - 20 avril 2013
Le Devoir dévoile la carte des 960 forages pétroliers et gaziers réalisés au Québec depuis 1860
Photo : Musée de la Gaspésie, Fonds J. Napoléon Gérard junior Les installations d’un puits de forage dans le secteur de la Petite Fourche, dans le chemin de la Mine, à l’ouest de Gaspé, vers 1950. |
L’histoire de la recherche de pétrole et de gaz au Québec se résume depuis 150 ans à une série de rêves de grandeur portés par des promoteurs qui n’ont pour ainsi dire jamais vu leurs espoirs se réaliser. C’est le cas de l’or noir tant convoité de la Gaspésie. Maintes fois, ses partisans ont annoncé l’arrivée de millions de barils du précieux liquide, mais sans succès. Aux échecs du passé s’ajoutent maintenant les craintes quant aux risques environnementaux d’une éventuelle exploitation.
Le gouvernement Marois, comme ses prédécesseurs libéraux, rêve de voir le Québec exploiter ses ressources pétrolières, présumément importantes. Mais les péquistes n’inventent rien en plaidant pour la recherche d’énergie fossile. Ils ne font en fait que s’inscrire dans la foulée des entreprises qui ont tenté, depuis 1860, d’extraire de l’or noir du sous-sol québécois.
Déjà, en 1843, William Logan, véritable père de la géologie au Canada, constate des suintements de pétrole à même le sol dans un secteur de la baie de Gaspé baptisé par la suite Tar Point. La publication d’un rapport sur ses observations attire d’ailleurs l’attention. « Ç’a des incidences auprès de compagnies qui décident de venir faire de l’exploration. C’est ce qui va donner les deux premiers forages, dès 1860 », explique Jean-Marie Fallu, historien et président de Patrimoine Gaspésie.
La Gaspé Bay Mining Company mène ces deux premières tentatives d’exploration et découvre des « indices de gaz et de pétrole ». L’un des puits se trouve à la limite ouest de Gaspé. Et comme on peut le constater sur la carte du Devoir indiquant l’emplacement de chacun des 960 forages réalisés en sol québécois, il se situe tout près d’une zone dont l’entreprise Junex contrôle aujourd’hui les droits d’exploration. Le secteur, nommé Galt, pourrait renfermer plus de 330 millions de barils d’or noir, selon les plus récentes évaluations.
Un autre forage révèle dès 1865 que le sous-sol de Gaspé renferme du pétrole. La Gaspé Oil Company effectue cette nouvelle tentative. Le puits, nommé Conant, a d’ailleurs été reproduit par le graveur néo-brunswickois Thomas Pye. « C’est la première image d’un puits en fonction au Québec, explique M. Fallu. Son témoignage aussi est intéressant. Il dit que la Gaspésie est en train de devenir une nouvelle région pétrolière. » Même si l’entreprise échoue, elle n’en ciblait pas moins un secteur encore convoité aujourd’hui. C’est en effet à quelques dizaines de mètres de là que Pétrolia souhaite forer un nouveau puits horizontal. L’objectif de ce projet controversé et rejeté par la Ville de Gaspé est de vérifier s’il serait possible d’extraire les 7,7 millions de barils que contiendrait le gisement Haldimand.
Thomas Pye n’est pas le seul à croire à l’imminence d’un boom pétrolier en Gaspésie. Les entreprises actives dans la péninsule, toutes contrôlées par des intérêts étrangers, essaient d’ailleurs d’attirer des investisseurs. « En 1866, une brochure publiée à New York vantait les mérites de Gaspé en la présentant comme une des régions pétrolières les plus prometteuses jamais découvertes. On disait aussi que, pour le marché de Londres, Gaspé avait des avantages par rapport aux puits de la Pennsylvanie », explique M. Fallu. Le document prétend en effet que, « sur les marchés européens, le pétrole de Gaspé a un avantage sur celui des localités de la Pennsylvanie quant à la question du transport jusqu’à Londres ».
Pour l’essentiel, les prospecteurs qui parcourent le territoire dans les années qui suivent découvrent uniquement des traces de pétrole. « Les premiers prospecteurs voyaient aussi de l’huile [du terme anglophone oil, qui signifie pétrole] sur les arbres et les feuilles d’arbre. Ils ont découvert que, durant l’été, les ours noirs allaient se baigner dans cette huile. Donc, on peut dire que les ours noirs ont aidé à trouver l’or noir », souligne l’historien. Mais malgré les tests menés à la pointe de la péninsule gaspésienne, les 57 puits forés dans la région sur une période de 40 ans se soldent par des échecs.
Une entreprise britannique, la Petroleum Oil Trust, mise pourtant gros à la fin du XIXe siècle. Elle mène 40 forages en 10 ans, fait construire 120 kilomètres de routes et des maisons pour 150 travailleurs. Elle reçoit même un appui du gouvernement de Wilfrid Laurier, dont le lieutenant québécois, Rodolphe Lemieux, est député de Gaspé. Ce dernier, mais aussi le premier ministre Laurier, ambitionne de faire de Gaspé un port important. La présence de l’industrie pétrolière serait un atout supplémentaire. La Petroleum Oil Trust ne pompe finalement que 300 barils de pétrole avant de faire faillite.
Les entreprises qui suivent, aujourd’hui toutes tombées dans l’oubli, trouvent au mieux des « indices » de pétrole et de gaz. Mais cette série d’échecs ne décourage pas pour autant les spéculateurs. « Dans les années 1950, un certain Paul Payette fait toute une campagne promotionnelle, rappelle Jean-Marie Fallu. Il invite un photographe professionnel pour faire un album de photos de la région de Gaspé. Il publie dans la presse des photos des puits de forage. Il veut montrer que la Gaspésie connaît un boom pétrolier. Et ça fonctionne, puisque plusieurs personnes de la région lui ont acheté des actions. Mais en 1957, il a fait faillite et plusieurs ont perdu de l’argent. »
Échecs de Québec
Même le gouvernement du Québec ne parvient pas, avec la Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP), à faire jaillir le pétrole du sol. La société d’État fore pourtant près de Gaspé dès 1993, non loin des actuels puits Galt de Junex. Elle découvre même du gaz et des « indices » de pétrole. Des anciens de la SOQUIP travaillent aujourd’hui pour Junex, qui fonde de grands espoirs sur son projet Galt. La pétrolière y a déjà extrait plusieurs milliers de barils du précieux liquide au cours de ses activités d’exploration.
La SOQUIP a aussi échoué dans ses tentatives pour trouver un gisement sur l’île d’Anticosti au cours des années 1970, même si les tests indiquaient la présence de pétrole. Hydro-Québec Pétrole et Gaz, mise sur pied par les péquistes en 2002, n’a pas eu plus de succès sur l’île. Hydro-Québec Pétrole et Gaz n’aurait pas ciblé la bonne formation géologique en 2005.
Hydro-Québec a cédé en 2008 tous ses droits d’exploration sur Anticosti à Pétrolia, qui compte notamment d’anciens employés de la SOQUIP et du ministère des Ressources naturelles dans son équipe. Mais il a toujours été impossible de savoir ce qu’Hydro-Québec a obtenu en échange de ses permis. Le sous-sol situé sous ces permis pourrait receler 30 milliards de barils de pétrole.
Au total, l’île renfermerait jusqu’à 40 milliards de barils. Junex et Pétrolia estiment qu’elles devront probablement recourir à la fracturation pour extraire ce pétrole. La première ministre Pauline Marois a dit vouloir étudier cette question, tout en répétant que son gouvernement est favorable à l'exploitation pétrolière au Québec. On planche déjà sur un projet de loi afin de donner le feu vert à l'industrie de l'énergie fossile. Aucune évaluation environnementale de la filière pétrolière n'a jusqu'ici été annoncée.
L'ampleur des gisements pétroliers qui se trouveraient en Gaspésie et sur l'île d'Anticosti n'a par ailleurs pas été démontrée. «Nous n'en sommes pas à notre premier boom pétrolier», résume l'historien Jean-Marie Fallu. Et cette fois, il ne faudra pas seulement démontrer la valeur commerciale de la ressource. Il faudra aussi tenir compte des impératifs environnementaux et de la contestation populaire.
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